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Revue de l'IS - Bulletin N° 1







Internationale situationniste
n central
édité par les sections de l’Internationale
situationniste




Juin 1958 — Directeur : G.-E.
Debord


Rédaction : 32, rue de la Montagne-Geneviève,
Paris-V
e







Notes
éditoriales :


Amère victoire du
surréalisme




Le bruit et la
fureur




La liberté pour quoi
lire ? Des bêtises




La lutte pour le
contrôle des nouvelles techniques de
conditionnement



Avec et contre le
cinéma



Contribution à une
définition situationniste du jeu




Problèmes
préliminaires à la construction d’une
situation




Définitions






Formulaire pour un urbanisme
nouveau



Thèses sur la
révolution culturelle


Les situationnistes et
l’automation

Pas d’indulgences
inutiles



Nouvelles de
l’Internationale :


Éditions pour
l’agitation situationniste



Deuxième
Conférence de l’I.S.



Venise a vaincu Ralph
Rumney



Action en Belgique contre
l’Assemblée des critiques d’art
internationaux




Une guerre civile en
Franc
e







ù



La règle dans ce bulletin est la
rédaction collective. Les quelques articles
rédigés et signés personnellement doivent
être considérés, eux aussi, comme
intéressant l’ensemble de nos camarades, et comme des points
particuliers de leur recherche commune. Nous sommes opposés
à la survivance de formes telles que la revue
littéraire ou la revue d’art.



Tous les textes publiés dans
COLOR="#00FFFF">Internationale Situationniste
peuvent
être librement reproduits, traduits ou adaptés,
même sans indication d’origine.



*



Comité de rédaction :
MOHAMED
DAHOU,
GIUSEPPE
PINOT GALLIZIO, MAURICE WYCKAERT.







« Nos prochaines
publications seront décidées par la
majorité de nos camarades : nous
prévoyons une revue éditée à
Paris vers le début de 1958. » —
G
UY DEBORD, lettre à Pinot Gallizio,
23 novembre 1957.



« Aurais-tu
quelque chose à publier dans la revue que nous
préparons ? » — G
. DEBORD,
lettre à Constant,
27 décembre 1957.



« Je m’emploie
à préparer le premier numéro de la
revue dont nous avons parlé ensemble. Voulez-vous y
donner des textes ? et quels sujets
traiteriez-vous ?


Il faudrait cela dans un délai assez
bref. » — G
UY
DEBORD,
lettre à la
section belge
,
décembre 1957 - janvier 1958.



« Maintenant notre
affaire la plus urgente est l’organisation de la
manifestation chez Drouin. Pour cela il se pose un
problème général de
rédaction , pour le premier numéro de la revue qui doit paraître à ce moment-là
et pour les conférences que nous devrons enregistrer
auparavant. Je crois qu’il serait bon de nous rencontrer
bientôt pour discuter de ce travail précis.
Veux-tu revenir à Paris un des prochains week-ends,
avec Wyckaert si possible ? Je peux loger un de vous
dans ma mansarde internationale aussi longtemps qu’il
voudra. » — G
UY DEBORD, lettre à Walter Korun,
5 février 1958.

« Je
t’écris toujours en grande hâte, devant
remettre un immense travail à notre imprimeur avant
le 15 mars. » — G
UY DEBORD,
lettre à Pinot
Gallizio
,
21 février 1958.



« Comme suite
à ce que je t’écrivais le
5 février, il nous faut maintenant hâter
la rédaction de la revue, dont tous les textes
doivent être remis à l’imprimeur le
15 mars.


Peut-on se rencontrer avant — au moins 8 jours avant —
à Paris, ou si tu préfères à
Bruxelles ? Choisis la date. » —
G
UY
SIZE="-1" FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à
Walter Korun
,
21 février 1958.



« Maintenant je
cours chez l’imprimeur. » — G

SIZE="-2" FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Pinot
Gallizio
,
27 février 1958.



« . » —
G
UY
SIZE="-1" FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à
Maurice Wyckaert
,
1

FACE="Arial">er

FACE="Arial"> mars 1958.



« Pour la revue,
nous pensions déjà vous accorder un petit
délai supplémentaire. Il suffira que vos
travaux nous parviennent

FACE="Arial">avant le 31 mars

FACE="Arial">. C’est encore très pressé, je le
sais bien. Mais nous y comptons absolument. » —
G
UY
SIZE="-1" FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à la
section belge
,
13 mars 1958.



« Comme tu l’as vu
par ma carte je me trouvais à la fin de la semaine
dernière à Bruxelles, pour discuter avec nos
camarades belges de la rédaction de notre revue, et
de l’action à mener en Belgique. L’ambiance
là-bas est très satisfaisante.


[…]


Pour la revue, je compte y publier des extraits de ta lettre
historique du 24 février annonçant la
naissance de la peinture industrielle. Voudrais-tu la
compléter par quelques notes
supplémentaires : écrites toujours sur la
peinture industrielle (explication des
procédés, développements prochains,
etc., un peu ce que nous avons dit avec Drouin) ? Il
faudrait que j’aie reçu ce texte

SIZE="-1" FACE="Arial">avant la fin de mars

SIZE="-1" FACE="Arial">. » — G

SIZE="-2" FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Pinot
Gallizio
,
14 mars 1958.



« En ce moment, je
m’emploie d’abord à la revue. » —
G
UY
SIZE="-1" FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Pinot
Gallizio
,
21 mars 1958.



« Je te prie de
presser Korun d’achever ses écrits pour la fin de
cette semaine. » — G

FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à
Maurice Wyckaert
,
24 mars 1958.



« Pour la revue,
il y a encore du retard. Prenez maintenant le 25 avril
comme date limite pour faire parvenir vos écrits —
dans l’impasse de Clairvaux. Mais nous y comptons
absolument. De plus, il faudrait m’envoyer les
références exactes concernant les publications
d’articles (« Histoire de Taptoe ») dont
vous m’avez parlé, en Hollande et en Belgique, si
elles ont été faites d’ici le mois de mai, ou
si elles doivent l’être sûrement très peu
après (ceci pour publier dans le compte rendu de nos
activités éditoriales).


[…]


Enfin, écrivez vite ici tous les résultats, et
envoyez le plus possible de coupures de presse relatant vos
exploits : j’en ai besoin pour les commentaires de
l’expédition qui seront en bonne place dans

COLOR="#FFFFFF">Internationale
Situationniste

FACE="Arial">. » — G

FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à
Walter Korun
,
8 avril 1958.



« La revue est en
retard, mais devrait paraître vers le
15 mai. » — G

FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Pinot
Gallizio
,
9 avril 1958.



« À
l’occasion de l’exposition de Torino, Pistoi publie
immédiatement

COLOR="#00FFFF">L’Éloge de Gallizio

SIZE="-1" FACE="Arial"> et, en brochure
séparée, la traduction italienne de mon

COLOR="#00FFFF">Rapport

FACE="Arial">. Ensuite, dans le numéro de juin de

FACE="Arial">Notizie

FACE="Arial">, il traduira une partie des textes du premier
numéro d’

COLOR="#FFFFFF">Internationale
Situationniste
et en
outre il diffusera en Italie 200 exemplaires de notre
revue.


Tu vois donc l’urgence de la parution à Paris de la
revue, et de la monographie de Pinot. » —
G
UY
SIZE="-1" FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Asger
Jorn
,
27 avril 1958.



« J’enverrai d’ici
trois ou quatre jours à Pistoi celles des
épreuves de notre revue qui doivent être
traduites dans

FACE="Arial">Notizie

FACE="Arial">. Comme la revue elle-même ne peut
être achevée d’imprimer avant le début
de juin, il est possible que les circonstances politiques
empêchent sa parution. Dans ce cas, la publication en
italien est d’autant plus nécessaire, et je compte
sur toi pour rappeler ceci à Pistoi. » —
G
UY
SIZE="-1" FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Pinot
Gallizio
,
18 mai 1958.



« Je vous ai
envoyé aujourd’hui les épreuves à
traduire pour

FACE="Arial">Notizie

FACE="Arial">.


Une lettre qui est souvent mal imprimée dans ces
pages est la lettre T.


Vous pouvez considérer que les

FACE="Arial">
style="text-decoration: none">“Notes
éditoriales”

sont signées par le comité de
rédaction, qui est composé de : Mohamed
Dahou, Debord, Pinot Gallizio et Maurice Wyckaert.


Notre revue sera diffusée le 10 juin, à
moins que les événements politiques ne nous
aient pris de vitesse. » — G

FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à
Luciano Pistoi
,
23 mai 1958.



« J’ai
[envoyé] ce matin à Pistoi les textes de la
revue, qui ne sera pas distribuée à Paris
avant le 10 juin. » — G

FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Giors
Melanotte
,
23 mai 1958.



« Et que se
passe-t-il pour notre numéro de

SIZE="-1" FACE="Arial">Notizie

FACE="Arial"> ? Il serait fâcheux de ne pouvoir

FACE="Arial">exploiter

FACE="Arial"> tout de suite le succès de la peinture
industrielle en l’

FACE="Arial">expliquant

FACE="Arial"> (puisque la presse donnera naturellement une
vision très déformée de nos
positions).


Dans ces conditions, dois-je toujours envoyer à
Pistoi 200 exemplaires de notre revue, comme
c’était aussi convenu ?


[…]


Tu as l’honneur supplémentaire d’être membre du
comité de rédaction de la revue

COLOR="#FFFFFF">Internationale
Situationniste
qui
est enfin prête. » — G

FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Pinot
Gallizio
,
16 juin 1958.



« Ci-joint

TARGET="_blank" style="text-decoration: none">notre
analyse
à la
date du 8 juin — confirmée depuis (mais les plus
grandes chances sont du côté fasciste). Ceci va
paraître dans la revue, que vous recevrez
bientôt : la diffusion commencera
demain. » — G

FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à
Gallizio & Melanotte

FACE="Arial">, 16 juin 1958.



« Je vais
t’envoyer incessamment la revue. Tu y détiens un
poste honorifique dans le comité de rédaction,
afin que ton nom ne soit pas absent de cette
publication. » — G

FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à
Maurice Wyckaert
,
16 juin 1958.



« . » —
G
UY
SIZE="-1" FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à
Walter Korun
,
16 juin 1958.



« Quand
paraît

FACE="Arial">Notizie

FACE="Arial">, et y a-t-on traduit tous nos textes (de

COLOR="#00FFFF">I.S.

COLOR="#00FFFF"> n° 1

FACE="Arial">) ? Ceci me paraît très
important. Si Pistoi est encore tiraillé entre des
forces contraires, il faut saisir cette occasion de le
compromettre dans notre camp. Tout le monde y gagnera, mais
surtout lui.


[…]


Je t’envoie bientôt d’autres exemplaires de la revue
(le tirage n’est pas terminé). » —
G
UY
SIZE="-1" FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Pinot
Gallizio
,
23 juin 1958.



« Vous recevrez
dans peu de jours les épreuves du livre de Jorn, et
200 revues (le tirage s’achève
seulement). » — G

FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à
Luciano Pistoi
,
30 juin 1958.



« Je suis content
que la revue te plaise. Elle a déjà
soulevé pas mal d’intérêt par
ici. » — G
UY
D
FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Pinot
Gallizio
,
5 juillet 1958.



« […] le
scandaleux sabotage de l’impression de la revue. »
— G
UY
SIZE="-1" FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Asger
Jorn
,
15 juillet 1958.



« Je suis content
que la revue te plaise. Elle a déjà
soulevé pas mal d’intérêt par
ici. » — G
UY
D
FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Pinot
Gallizio
,
5 juillet 1958.



« Hier, la police
m’a longuement interrogé à propos de la revue
et de l’organisation situationniste. C’était
seulement un début. Voici, je crois, une des
principales menaces qui m’est apparue assez vite dans la
discussion : la police veut considérer
l’
I.S. comme une
association pour en venir à la dissoudre en
France
. J’ai
protesté d’ores et déjà en soulignant
que jamais une tendance artistique ne s’était
juridiquement constituée en personne morale dans une
association déclarée. N’étant pas
déclarée, l’I.S. ne peut être
officiellement dissoute, mais on essaie lourdement de nous
intimider. On a l’air de nous prendre pour des
gangsters ! » — G

FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Pinot
Gallizio
,
17 juillet 1958.



« Vigilance
à propos du numéro de

SIZE="-1" FACE="Arial">Notizie

FACE="Arial"> à paraître, qui doit contenir nos
traductions. Ne pas laisser Pistoi imaginer que nous
pourrions nous accommoder d’une rupture de cet engagement
précis. » — G

FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Pinot
Gallizio
,
19 juillet 1958.



« . » —
G
UY
SIZE="-1" FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Asger
Jorn
,
20 août 1958.



ù




COLOR="#FFFFFF">




COLOR="#FFFFFF">Notes
éditoriales






COLOR="#FFFFFF">

COLOR="#FFFFFF">Amère victoire du
surréalisme



« Le succès même
du surréalisme est pour beaucoup dans le fait que
l’idéologie de cette société, dans sa face la
plus moderne, a renoncé à une stricte hiérarchie
de valeurs factices, mais se sert à son tour ouvertement de
l’irrationnel, et des survivances surréalistes par la
même occasion. »



Rapport sur la construction
des situations
. Juin 1957




DANS LE CADRE d’un monde qui n’a pas
été essentiellement transformé, le
surréalisme a réussi. Cette réussite se retourne
contre le surréalisme qui n’attendait rien que du renversement
de l’ordre social dominant. Mais en même temps le retard
intervenu dans l’action des masses qui s’emploient à ce
renversement, maintenant et aggravant, avec les autres contradictions
du capitalisme évolué, les mêmes impuissances de
la création culturelle, maintient l’actualité du
surréalisme et en favorise de multiples
répétitions dégradées.



Le surréalisme a un caractère indépassable,
dans les conditions de vie qu’il a rencontrées et qui se sont
prolongées scandaleusement jusqu’à nous, parce qu’il
est déjà, dans son ensemble, un
supplément à la poésie ou à l’art
liquidés par le dadaïsme, parce que toutes ses ouvertures
sont au-delà de la postface surréaliste à
l’histoire de l’art, sur les problèmes d’une vraie vie
à construire. De sorte que tout ce qui veut se situer,
techniquement, après le surréalisme retrouve des
problèmes d’avant (poésie ou
théâtre dadaïstes, recherches formelles dans le
style du recueil Mont-de-Piété). Ainsi, pour
leur plus grande part, les nouveautés picturales sur
lesquelles on a attiré l’attention depuis la dernière
guerre sont seulement des détails, isolés et grossis,
pris — secrètement — dans la masse cohérente des
apports surréalistes (Max Ernst à l’occasion d’une
exposition à Paris au début de 1958 rappelait ce qu’il
avait appris à Pollock en 1942).



Le monde moderne a rattrapé l’avance formelle que le
surréalisme avait sur lui. Les manifestations de la
nouveauté dans les disciplines qui progressent effective ment
(toutes les techniques scientifiques) prennent une apparence
surréaliste : on a fait écrire, en 1955, par un
robot de l’Université de Manchester, une lettre d’amour qui
pouvait passer pour un essai d’écriture automatique d’un
surréaliste peu doué. Mais la réalité qui
commande cette évolution est que, la révolution
n’étant pas faite, tout ce qui a constitué pour le
surréalisme une marge de liberté s’est trouvé
recouvert et utilisé par le monde répressif que
les surréalistes avaient combattu.



L’emploi du magnétophone pour instruire des sujets endormis
entreprend de réduire la réserve onirique de la vie
à des fins utilitaires dérisoires ou
répugnantes. Rien cependant ne constitue un si net
retournement des découvertes subversives du surréalisme
que l’exploitation qui est faite de l’écriture automatique, et
des jeux collectifs fondés sur elle, dans la méthode de
prospection des idées nommée aux Etats-Unis
« brainstorming ». Gérard Lauzun, dans
France-Observateur, en décrit ainsi le
fonctionnement : « En une séance de
durée limitée (dix minutes à 1 heure), un
nombre limité de personnes (6 à 15) ont toute
liberté d’émettre des idées, le plus
d’idées possibles, bizarres ou pas, sans aucun risque de
censure. La qualité des idées importe peu. Il est
absolument interdit de critiquer une idée émise par
l’un des participants et même de sourire lorsqu’il a la parole.
Chacun a, en outre, le droit le plus absolu, le devoir même, de
piller, en y ajoutant du sien, les idées
précédemment énoncées. (…).
L’armée, l’administration, la police y ont aussi recours. La
recherche scientifique elle-même substitue des séances
de brainstorming à ses conférences ou à
ses “tables rondes”. (…) Un auteur et un producteur de films au
C.F.P.I. Il leur faut un titre. Huit personnes en quinze minutes en
proposent soixante-dix ! Puis, un slogan : cent quatre
idées en trente-quatre minutes : deux sont retenus. (…)
La règle est la non-pensée, l’illogisme,
l’absurdité, le coq-à-l’âne. La qualité
fait place à la quantité. La méthode a pour but
premier d’éliminer les diverses barrières de contrainte
sociale, de timidité, d’effroi devant la parole qui
interdisent souvent à certains individus dans une
réunion ou au cours d’un conseil d’administration, de parler,
d’avancer des suggestions saugrenues, au milieu desquelles pourtant
un trésor peut être enfoui ! Ici, les
barrières levées, on constate que les gens parlent et,
surtout, que chacun a quelque chose à dire. (…) Certains
managers américains ont d’ailleurs vite compris
l’intérêt d’une telle technique sur le plan des
relations avec le personnel. Celui qui peut s’exprimer revendique
moins. “Organisez-nous des brainstormings !”
commandent-ils alors aux spécialistes : “cela
démontrera au personnel que nous faisons cas de ses
idées, puisque nous les demandons !” La technique est
devenue une thérapeutique contre le virus
révolutionnaire. »







« Je ne crois pas
que nous voulions surestimer l’importance du
surréalisme par rapport aux autres recherches que tu
cites. Il me semble même que

FACE="Arial">l’esthétique

FACE="Arial"> que le surréalisme a finalement
imposée est moins avancée. La place
privilégiée de ce mouvement —
c’est-à-dire pour le premier numéro de la
revue l’étendue de la critique qui lui est
consacrée — vient de ce fait que le
surréalisme s’est présenté comme une
entreprise totale, concernant toute une façon de
vivre. C’est cette

FACE="Arial">intention

FACE="Arial"> qui constitue son caractère le plus
progressif, qui nous oblige maintenant à nous
comparer à lui, pour nous en différencier (le
passage d’un art révolutionnaire utopique à un
art révolutionnaire expérimental). Bien
sûr nous sommes encore loin de ce passage. Tout ce qui
nous intéresse vraiment ne peut être encore
qu’au stade de la revendication. Ainsi le manque de
réalisme est un défaut presque
inévitable mais qu’il faut combattre le plus possible
parmi nous. » — G

FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à
Constant
,
8 août 1958.

*




COLOR="#FFFFFF">
Le
bruit et la fureur



ON PARLE BEAUCOUP des jeunes gens furieux,
de la colère de la jeunesse aujourd’hui. On en parle
volontiers parce que, des émeutes sans raison des adolescents
suédois aux proclamations élaborées par les
« angry young men » anglais qui tentent de se
constituer en mouvement littéraire, on retrouve le même
caractère inoffensif en profondeur, une même faiblesse
rassurante. Produits d’une époque de décomposition des
idées et des modes d’existence dominants, d’une époque
d’immenses victoires contre la nature sans élargissement
réel des possibilités de la vie quotidienne,
réagissant, parfois brutalement, contre la condition qui leur
est faite, ces sursauts de la jeunesse sont grossièrement
contemporains de l’état d’esprit surréaliste. Mais ils
sont dépourvus de ses points d’application dans la culture et
de son espoir révolutionnaire. De sorte que la
résignation est le fond sonore de ce négativisme
spontané de la jeunesse américaine, scandinave ou
japonaise. Saint-Gennain-des-Prés avait déjà
été, dans les premières années de
l’après-guerre, un laboratoire de ces comportements
(abusivement nommés existentialistes par les journaux), ce qui
explique que les représentants intellectuels de cette
génération en France maintenant (Françoise
Sagan-Drouet, Robbe-Grillet, Vadim, l’affreux Buffet) soient tous les
illustrations outrées, les images d’Épinal de la
résignation.



Si cette génération intellectuelle, hors de France,
témoigne de plus d’agressivité, la conscience qu’elle
en prend s’échelonne entre l’imbécillité simple
et la satisfaction prématurée d’une révolte
très insuffisante. L’odeur d’œufs pourris que répand
l’idée de Dieu enveloppe les crétins mystiques de la
« beat generation » américaine, et n’est
même pas absente des déclarations des « angry
young men » (cf. Colin Wilson). Ceux-ci, en
général, découvrent avec trente ans de retard un
climat moral subversif que l’Angleterre leur avail
complètement caché entre temps, et pensent être
à la pointe du scandale en se proclamant républicains.
« On continue de jouer des pièces, écrit
Kenneth Tynan, qui sont fondées sur la ridicule idée
que les gens craignent et respectent encore la Couronne, l’Empire,
l’Église, l’Université et la Bonne
Société. » Ce mot (« on continue de
jouer des pièces… ») est révélateur du
point de vue platement littéraire de cette
équipe des « angry young men », qui en
sont venus à changer d’avis, simplement, sur quelques
conventions sociales, sans voir le changement de terrain de
toute l’activité culturelle, que l’on observe manifestement
dans chaque tendance avant-gardiste du siècle. Les
« angry young men » sort même
particulièrement réactionnaires en ceci qu’ils
attribuent une valeur privilégiée, un sens de rachat,
à l’exercice de la littérature ;
c’est-à-dire qu’ils se font aujourd’hui les défenseurs
d’une mystification qui a été dénoncée
vers 1920 en Europe, et dont la survie est d’une plus grande
portée contre-révolutionnaire que celle de la Couronne
britannique.



Toutes ces rumeurs, ces onomatopées de l’expression
révolutionnaire, ont en commun d’ignorer le sens et l’ampleur
du surréalisme (dont la réussite artistique bourgeoise
a été naturellement déformante). En fait la
continuation du surréalisme serait l’attitude la plus
conséquente, si rien de nouveau ne parvenait à le
remplacer. Mais précisément, la jeunesse qui le rallie,
parce qu’elle connaît l’exigence profonde du surréalisme
et ne peut surmonter la contradiction entre cette exigence et cette
immobilité d’une pseudo-réussite, se réfugie
dans les côtés réactionnaires que le
surréalisme portait en lui dès sa formation (magie,
croyance à un âge d’or qui pourrait être ailleurs
qu’en avant dans l’histoire). On en vient à se
féliciter d’être encore là, si longtemps
après la bataille, sous l’arc de triomphe du
surréalisme où l’on restera traditionnellement, comme
dit fièrement Gérard Legrand (Surréalisme
même
, n° 2) : « un petit noyau
d’êtres jeunes obstinément attachés à
entretenir la véritable flamme du
surréalisme… »



Un mouvement plus libérateur que le surréalisme
de 1924 — auquel Breton promettait de se rallier s’il venait
à paraître — ne peut pas se constituer facilement, parce
que son caractère libérateur dépend maintenant
de sa mainmise sur les moyens matériels supérieurs du
monde moderne. Mais les surréalistes de 1958 sont devenus
incapables de s’y rallier, et sont même résolus à
le combattre. Ce qui n’enlève rien à la
nécessité, pour un mouvement révolutionnaire
dans la culture, de reprendre à son compte, avec plus
d’efficacité, la liberté d’esprit, la liberté
concrète des mœurs, revendiquées par le
surréalisme.



Pour nous, le surréalisme a été seulement un
début d’expérience révolutionnaire dans la
culture, expérience qui a presque immédiatement
tourné court pratiquement et théoriquement. Il s’agit
d’aller plus loin. Pourquoi ne peut-on plus être
surréaliste ? Ce n’est pas pour obéir à la
sommation, qui est faite en permanence à
l’« avant-garde », de se distinguer du scandale
surréaliste (personne ne se soucie de nous voir adopter une
originalité de tous les instants. Et pour cause : quelle
direction neuve nous proposerait-on ? Au contraire, la
bourgeoisie est prête à applaudir toutes les
régressions qu’il nous plaira de choisir). Si l’on n’est pas
surréaliste, c’est pour ne pas s’ennuyer.



L’ennui est la réalité commune du surréalisme
vieilli, des jeunes gens furieux et peu renseignés, et de
cette rébellion des adolescents confortables qui est sans
perspectives mais bien éloignée d’être sans
cause. Les situationnistes exécuteront le jugement que !es
loisirs d’aujourd’hui prononcent contre eux-mêmes.



*




COLOR="#FFFFFF">
La
liberté pour quoi lire ? Des bêtises



L’ÉVASION dans la littérature
et l’art, la surestimation de l’importance de ces activités
définies selon l’ancienne optique bourgeoise, paraissent des
conceptions très répandues dans les États
ouvriers d’Europe où, en réaction contre les
détournements policiers d’une entreprise de changement
réel du monde, les intellectuels déçus en
viennent à manifester une naïve indulgence pour les
sous-produits, les redites d’une culture occidentale
décomposée. C’est une illusion parallèle
à celle qu’ils redécouvrent au sujet du système
de la démocratie parlementaire. Le jeune écrivain
polonais Marek Hlasko, interrogé par L’Express (du
17 avril 1958), justifie son intention de retourner en
Pologne où, d’après les opinions assurées qu’il
a émises, la vie est intenable et aucune amélioration
n’est possible, par ce stupéfiant motif : « La
Pologne est un pays extraordinaire pour un écrivain, et cela
vaut la peine de supporter toutes les conséquences pour vivre
dans ce pays et l’observer. »



Nous ne regretterons pas le recul du jdanovisme malgré
l’intérêt stupide que rencontrent en
Tchécoslovaquie ou en Pologne les plus misérables
aspects de la fin de culture de l’occident : les expressions qui
ne soit plus à l’extrême de la décomposition
formelle, mais parvenues à la neutralité pure —
disons Sagan-Drouet ou les motivations artistiques de la revue
Phases. Nous comprenons la nécessité de
revendiquer, contre la doctrine réaliste-socialiste encore
puissante, une liberté totale d’information et de
création. Mais cette liberté ne peut en aucun cas se
confondre avec l’alignement sur la culture
« moderne » découverte maintenant en
Europe occidentale. Cette culture est historiquement le contraire
d’une création : une série de
répétitions maquillées. Demander la
liberté de la création, c’est reconnaître la
nécessité des constructions supérieures du
milieu. Dans les États ouvriers et ici, la liberté
véritable sera la même, et ses ennemis seront les
mêmes.



*




COLOR="#FFFFFF">
La
lutte pour le contrôle des nouvelles techniques de
conditionnement



« ON PEUT dorénavant
déclencher à coup sûr les réactions des
hommes dans des directions déterminées à
l’avance », écrivait Serge Tchakhotine à
propos des méthodes d’influence employées sur des
collectivités par les révolutionnaires et par les
fascistes entre les deux guerres mondiales (Le viol des foules par
la propagande politique
, Gallimard). Les progrès
scientifiques depuis ont été constants. On a
avancé dans l’étude expérimentale des
mécanismes du comportement ; on a trouvé de
nouveaux usages des appareils existants ; on en a
inventé de nouveaux. On fait l’essai, depuis assez
longtemps, d’une publicité invisible (par l’introduction dans
un déroulement cinématographique d’images autonomes,
au vingt-quatrième de seconde, sensibles à la
rétine mais restant en deçà dune perception
consciente) et d’une publicité inaudible (par
infra-sons). En 1957 le service de recherche de la Défense
nationale du Canada a fait effectuer une étude
expérimentale de l’ennui en isolant des sujets dans un
environnement aménagé de telle sorte que rien ne
pouvait s’y passer (cellule aux murs nus, éclairée
sans interruption, meublée seulement d’un divan confortable,
rigoureusement dépourvue d’odeurs, de bruits, de variations
de température). Les chercheurs ont constaté des
troubles étendus du comportement, le cerveau étant
incapable en l’absence des stimuli sensoriels de se maintenir dans
une excitation moyenne nécessaire à son
fonctionnement normal. Ils ont donc pu conclure à l’influence
néfaste d’une ambiance ennuyeuse sur le comportement humain,
et expliquer par là les accidents imprévisibles qui
surviennent dans les travaux monotones, destinés à se
multiplier avec l’extension de l’automation.



On va plus loin avec le témoignage d’un certain Lajos Ruff,
publié dans la presse française, et en librairie, au
début de 1958. Son récit, suspect à bien des
égards, mais ne contenant aucune anticipation de
détail, décrit le « lavage de
cerveau » que lui aurait fait subir la police politique
hongroise en 1956. Ruff dit avoir passé six semaines
enfermé dans une chambre où l’emploi unitaire de moyens
qui sont tous amplement connus visait — et a finalement réussi
— à lui faire perdre toute croyance en sa perception du monde
extérieur et en sa propre personnalité. Ces moyens
étaient : l’ameublement résolument autre de
cette pièce close (meubles transparents, lit courbe) ;
l’éclairage, avec l’intervention chaque nuit d’un rayon
lumineux venu de l’extérieur, contre les effets psychiques
duquel on l’avait délibérément mis en garde,
mais dont il ne pouvait s’abriter ; les procédés
de la psychanalyse utilisés par un médecin dans des
conversations quotidiennes ; diverses drogues ; des
mystifications élémentaires, réussies à
la faveur de ces drogues (bien qu’il ait tout lieu de croire
qu’il n’a pu sortir depuis des semaines de sa chambre, il lui arrive
de s’éveiller avec des vêtements humides et des souliers
boueux) ; des projections de films absurdes ou érotiques,
confondues avec d’autres scènes qui se produisent parfois dans
la chambre ; enfin des visiteurs qui s’adressent à lui
comme s’il était un héros de l’aventure —
épisode de la Résistance en Hongrie — qu’un autre cycle
de films lui fait voir (des détails se retrouvent dans ces
films et dans les rencontres réelles, il finit par ressentir
la fierté de prendre part à cette action).



Nous devons recoinaître là un usage
répressif d’une construction d’ambiance parvenue
à un stade assez complexe. Toutes les découvertes de la
recherche scientifique désintéressée ont
été jusqu’ici négligées par les artistes
libres, et utilisées immédiatement par les polices. La
publicité invisible ayant soulevé quelque
inquiétude aux États-Unis, on a rassuré tout le
monde en annonçant que les deux premiers slogans
diffusés seraient sans danger pour quiconque. Ils
influenceront dans ces deux directions : « Conduisez
moins vite » — « ALLEZ À
L’
ÉGLISE ».



C’est toute la conception humaniste, artistique, juridique, de
la personnalité inviolable, inaltérable, qui est
condamnée. Nous la voyons s’en aller sans déplaisir.
Mais il faut comprendre que nous allons assister, participer,
à une course de vitesse entre les artistes libres et la
police pour expérimenter et développer l’emploi des
nouvelles techniques de conditionnement
. Dans cette course la
police a déjà un avantage considérable. De son
issue dépend pourtant l’apparition d’environnements
passionnants et libérateurs, ou le renforcement —
scientifiquement contrôlable, sans brèche — de
l’environnement du vieux monde d’oppression et d’horreur. Nous
parlons d’artistes libres, mais il n’y a pas de liberté
artistique possible avant de nous être emparés des
moyens accumulés par le XX
SIZE="-2">e
siècle, qui sont pour nous les
vrais moyens de la production artistique, et qui condamnent ceux qui
en sont privés à n’être pas des artistes de ce
temps. Si le contrôle de ces nouveaux moyens n’est pas
totalement révolutionnaire, nous pouvons être
entraînés vers l’idéal policé d’une
société d’abeilles. La domination de la nature peut
être révolutionnaire ou devenir l’arme absolue des
forces du passé. Les situationnistes se placeront au service
de la nécessité de l’oubli. La seule force
dont ils peuvent attendre quelque chose est ce prolétariat,
théoriquement sans passé, obligé de tout
réinventer en permanence, dont Marx disait qu’il
« est révolutionnaire ou n’est rien ».
Sera-t-il, de notre temps, ou non ? La question est
d’importance pour notre propos : le prolétariat doit
réaliser l’art.



*




COLOR="#FFFFFF">
Avec
et contre le cinéma



LE CINÉMA est l’art central de notre
société, aussi en ce sens que son développement
est cherché dans un mouvement continu d’intégration de
nouvelles techniques mécaniques. Il est donc, non seulement en
tant qu’expression anecdotique ou formelle, mais aussi dans son
infrastructure matérielle, la meilleure
représentation d’une époque d’inventions
anarchiques juxtaposées (non articulées, simplement
additionnées). Après l’écran large, les
débuts de la stéréophonie, les tentatives
d’images en relief, les États-Unis présentent à
l’exposition de Bruxelles un procédé dit
« Circarama », au moyen duquel, comme le rapporte
Le Monde du 17 avril, « on se trouve au centre
du spectacle et on le vit, puisqu’on en fait partie
intégrante. Quand la voiture à bord de laquelle sont
fixées les caméras de prises de vues fonce dans le
quartier chinois de San-Francisco on éprouve les
réflexes et les sensations des passagers de la
voiture ». On expérimente, par ailleurs, un
cinéma odorant, par les récentes applications des
aérosols, et on en attend des effets réalistes sans
réplique.



Le cinéma se présente ainsi comme un substitut
passif de l’activité artistique unitaire qui est maintenant
possible. Il apporte des pouvoirs inédits à la force
réactionnaire usée du spectacle sans
participation. On ne craint pas de dire que l’on vit dans le
monde que nous connaissons du fait que l’on se trouve sans
liberté au centre du misérable spectacle,
« puisqu’on en fait partie intégrante ».
La vie n’est pas cela, et les spectateurs ne sont pas encore au
monde. Mais ceux qui veulent construire ce monde doivent à la
fois combattre dans le cinéma la tendance à constituer
l’anti-construction de situation (la construction d’ambiance de
l’esclave, la succession des cathédrales) et reconnaître
l’intérêt des nouvelles applications techniques valables
en elles-mêmes (stéréophonie, odeurs).



Le retard de l’apparition des symptômes modernes de l’art
dans le cinéma (par exemple certaines œuvres formellement
destructrices, contemporaines de ce qui est accepté depuis
vingt ou trente ans dans les arts plastiques ou l’écriture,
sont encore rejetées même dans les ciné-clubs)
découle non seulement de ses chaînes directement
économiques ou fardées d’idéalismes (censure
morale), mais de l’importance positive de l’art
cinématographique dans la société moderne.
Cette importance du cinéma est due aux moyens d’influence
supérieurs qu’il met en œuvre ; et entraîne
nécessairement son contrôle accru par la classe
dominante. Il faut donc lutter pour s’emparer d’un secteur
réellement expérimental dans le cinéma.



Nous pouvons envisager deux usages distincts du
cinéma : d’abord son emploi comme forme de propagande
dans la période de transition pré-situationniste ;
ensuite son emploi direct comme élément constitutif
d’une situation réalisée.



Le cinéma est ainsi comparable à l’architecture par
son importance actuelle dans la vie de tous, par les limitations qui
lui ferment le renouvellement, par l’immense portée que ne
peut manquer d’avoir sa liberté de renouvellement. Il faut
tirer parti des aspects progressifs du cinéma industriel, de
même qu’en trouvant une architecture organisée à
partir de la fonction psychologique de l’ambiance on peut retirer la
perle cachée dans le fumier du fonctionnalisme absolu.



*




COLOR="#FFFFFF">

COLOR="#FFFFFF">Contribution à une définition
situationniste du jeu



ON NE PEUT échapper à la
confusion du vocabulaire et à la confusion pratique qui
enveloppent la notion de jeu qu’en la considérant dans son
mouvement. Les fonctions sociales primitives du jeu, après
deux siècles de négation par une idéalisation
continue de la production, ne se présentent plus que comme
des survivances abâtardies, mêlées de formes
inférieures qui procèdent directement des
nécessités de l’organisation actuelle de cette
production. En même temps, des tendances progressives du jeu
apparaissent, en relation avec le développement même des
forces productives.



La nouvelle phase d’affirmation du jeu semble devoir être
caractérisée par la disparition de tout
élément de compétition. La question de gagner
ou de perdre, jusqu’à présent presque
inséparable de l’activité ludique, apparaît
liée à toutes les autres manifestations de la tension
entre individus pour l’appropriation des biens. Le sentiment de
l’importance du gain dans le jeu, qu’il s’agisse de satisfactions
concrètes ou plus souvent illusoires, est le mauvais produit
d’une mauvaise société. Ce sentiment est naturellement
exploité par toutes les forces conservatrices qui s’en servent
pour masquer la monotonie et l’atrocité des conditions de vie
qu’elles imposent. Il suffit de penser à toutes les
revendications détournées par le sport de
compétition, qui s’impose sous sa forme moderne
précisément en Grande-Bretagne avec l’essor des
manufactures. Non seulement les foules s’identifient à des
joueurs professionnels ou à des clubs, qui assument le
même rôle mythique que les vedettes de cinéma
vivant et les hommes d’État décidant à leur
place ; mais encore la série infinie des résultats
de ces compétitions ne laisse pas de passionner les
observateurs. La participation directe à un jeu, même
pris parmi ceux qui requièrent un certain exercice
intellectuel, est tout aussi peu intéressante dès lors
qu’il s’agit d’accepter une compétition, pour elle-même,
dans le cadre de règles fixes. Rien ne montre le mépris
contemporain où est tenue l’idée de jeu comme cette
outrecuidante constatation qui ouvre le Bréviaire des
Échecs
de Tartakower : « Le jeu des
Échecs est universellement reconnu comme le roi des
jeux ».



L’élément de compétition devra
disparaître au profit d’une conception plus réellement
collective du jeu : la création commune des ambiances
ludiques choisies. La distinction centrale qu’il faut
dépasser, c’est celle que l’on établit entre le jeu et
la vie courante, le jeu étant tenu pour une exception
isolée et provisoire. « Il réalise,
écrit Johan Huizinga, dans l’imperfection du monde et la
confusion de la vie, une perfection temporaire et
limitée ». La vie courante, conditionnée
jusqu’ici par le problème des subsistances, peut être
dominée rationnellement — cette possibilité est au cœur
de tous les conflits de notre temps — et le jeu, rompant
radicalement avec un temps et un espace ludiques bornés,
doit envahir la vie entière. La perfection ne saurait
être sa fin au moins dans la mesure où cette perfection
signifie une construction statique opposée à la vie.
Mais on peut se proposer de pousser à sa perfection la belle
confusion de la vie. Le baroque, qu’Eugénio d’Ors qualifiait,
pour le limiter définitivement, de « vacance de
l’histoire », le baroque et l’au-delà
organisé du baroque tiendront une grande place dans le
règne prochain des loisirs.



Dans cette perspective historique, le jeu —
l’expérimentation permanente de nouveautés ludiques —
n’apparaît aucunement en dehors de l’éthique, de la
question du sens de la vie. La seule réussite que l’on puisse
concevoir dans le jeu c’est la réussite immédiate de
son ambiance, et l’augmentation constante de ses pouvoirs. Alors
même que dans sa coexistence présente avec les
résidus de la phase de déclin le jeu ne peut
s’affranchir complètement d’un aspect compétitif, son
but doit être au moins de provoquer des conditions favorables
pour vivre directement. Dans ce sens il est encore lutte et
représentation : lutte pour une vie à la mesure
du désir, représentation concrète d’une telle
vie.



Le jeu est ressenti comme fictif du fait de son existence
marginale par rapport à l’accablante réalité du
travail, mais le travail des situationnistes est
précisément la préparation de
possibilités ludiques à venir. On peut donc être
tenté de négliger l’Internationale situationniste
dans la mesure où on y reconnaîtra aisément
quelques aspects d’un grand jeu. « Néanmoins, dit
Huizinga, nous avons déjà observé que cette
notion de “seulement jouer” n’exclut nullement la possibilité
de réaliser ce “seulement jouer” avec une gravité
extrême… »



*




COLOR="#FFFFFF">

COLOR="#FFFFFF">Problèmes préliminaires à la
construction d’une situation



« La constrution de
situations commence au-delà de l’écroulement moderne de
la notion de spectacle. Il est facile de voir à quel point est
attaché à l’aliénation du vieux monde le
principe même du spectacle : la non-intervention. On
voit, à l’inverse, comme les plus valables des
recherches révolutionnaires dans la culture ont cherché
à briser l’identification psychologique du spectateur au
héros, pour entraîner ce spectateur à
l’activité… La situation est ainsi faite pour être
vécue par ses constructeurs. Le rôle du “public”, sinon
passif du moins seulement figurant, doit y diminuer toujours, tandis
qu’augmentera la part de ceux qui ne peuvent être
appelés des acteurs mais, dans un sens nouveau de ce terme,
des “viveurs”. »



Rapport sur la construction
des situations
.



LA CONCEPTION que nous avons d’une
« situation construite » ne se borne pas à
un emploi unitaire de moyens artistiques concourant à une
ambiance, si grandes que puissent être l’extension
spatio-temporelle et la force de cette ambiance. La situation est en
même temps une unité de comportement dans le temps. Elle
est faite de gestes contenus dans le décor d’un moment. Ces
gestes sont le produit du décor et d’eux-mêmes. Ils
produisent d’autres formes de décor et d’autres gestes.
Comment peut-on orienter ces forces ? On ne va pas se contenter
d’essais empiriques d’environnements dont on attendrait des
surprises, par provocation mécanique. La direction
réellement expérimentale de l’activité
situationniste est l’établissement, à partir de
désirs plus ou moins nettement reconnus, d’un champ
d’activité temporaire favorable à ces désirs.
Son établissement peut seul entraîner
l’éclaircissement des désirs primitifs, et
l’apparition confuse de nouveaux désirs dont la racine
matérielle sera précisément la nouvelle
réalité
constituée par les constructions
situationnistes.



Il faut donc envisager une sorte de psychanalyse à
des fins situationnistes, chacun de ceux qui participent à
cette aventure devant trouver des désirs précis
d’ambiances pour les réaliser, à l’encontre des
buts poursuivis par les courants issus du freudisme. Chacun doit
chercher ce qu’il aime, ce qui l’attire (et là encore, au
contraire de certaines tentatives d’écriture moderne — Leiris
par exemple —, ce qui nous importe n’est pas la structure
individuelle de notre esprit, ni l’explication de sa formation, c’est
son application possible dans les situations construites). On
peut recenser par cette méthode des éléments
constitutifs des situations à édifier ; des
projets pour le mouvement de ces éléments.



Une telle recherche n’a de sens que pour des individus travaillant
pratiquement dans la direction d’une construction de situations. Ils
sont alors tous, soit spontanément soit d’une manière
consciente et organisée, des
pré-situationnistes, c’est-à-dire des individus
qui ont ressenti le besoin objectif de cette construction à
travers un même état de manque de la culture, et
à travers les mêmes expressions de la sensibilité
expérimentale immédiatement précédente.
Ils sont rapprochés par une spécialisation et par leur
appartenance à une même avant-garde historique dans leur
spécialisation. Il est donc probable que l’on trouve chez tous
un grand nombre de thèmes communs du désir
situationniste, qui se diversifiera toujours davantage dès
son passage à une phase d’activité réelle.



La situation construite est forcément collective par sa
préparation et son déroulement. Cependant il semble, au
moins pour la période des expériences primitives,
qu’un individu doive exercer une certaine prééminence
pour une situation donnée ; en être le metteur en
scène. À partir d’un projet de situation —
étudié par une équipe de chercheurs — qui
combinerait, par exemple, une réunion émouvante
de quelques personnes pour une soirée, il faudrait sans doute
discerner entre un directeur — ou metteur en scène :
chargé de coordonner les éléments
préalables de construction du décor, et aussi de
prévoir certaines interventions dans les
événements (ce dernier processus pouvant être
partagé entre plusieurs responsables ignorant plus ou
moins les plans d’intervention d’autrui) —, des agents directs
vivant la situation — ayant participé à la
création du projet collectif, ayant travaillé à
la composition pratique de l’ambiance —, et quelques spectateurs
passifs — étrangers au travail de construction — qu’il
conviendra de réduire à l’action.



Naturellement le rapport entre le directeur et les
« viveurs » de la situation ne peut devenir un
rapport de spécialisations. C’est seulement une subordination
momentanée de toute une équipe de situationnistes au
responsable d’une expérience isolée. Ces perspectives,
ou leur vocabulaire provisoire, ne doivent pas donner à croire
qu’il s’agirait d’une continuation du théâtre.
Pirandello et Brecht ont fait voir la destruction du spectacle
théâtral, et quelques revendications qui sont
au-delà. On peut dire que la construction des situations
remplacera le théâtre seulement dans le sens où
la construction réelle de la vie a remplacé toujours
plus la religion. Visiblement le principal domaine que nous allons
remplacer et accomplir est la poésie, qui s’est
brûlée elle-même à l’avant-garde de notre
temps, qui a complètement disparu.



L’accomplissement réel de l’individu, également dans
l’expérience artistique que découvrent les
situationnistes, passe forcément par la domination collective
du monde : avant elle, il n’y a pas encore d’individus, mais des
ombres hantant les choses qui leur sont anarchiquement données
par d’autres. Nous rencontrons, dans des situations occasionnelles,
des individus séparés qui vont au hasard. Leurs
émotions divergentes se neutralisent et maintiennent leur
solide environnement d’ennui. Nous ruinerons ces conditions en
faisant apparaître en quelques points le signal incendiaire
d’un jeu supérieur.



À notre époque le fonctionnalisme, qui est une
expression nécessaire de l’avance technique, cherche à
éliminer entièrement le jeu, et les partisans de
l’« industrial design » se plaignent du
pourrissement de leur action par la tendance de l’homme au jeu. Cette
tendance, bassement exploitée par le commerce industriel,
remet immédiatement en cause les plus utiles
résultats, en exigeant de nouvelles présentations. Nous
pensons bien qu’il ne faut pas encourager le renouvellement
artistique continu de la forme des frigidaires. Mais le
fonctionnalisme moralisateur n’y peut rien. La seule issue
progressive est de libérer ailleurs, et plus largement, la
tendance au jeu. Auparavant les indignations naïves de la
théorie pure de l’industrial design n’empêcheront
pas le fait profond, par exemple, que l’automobile individuelle
est principalement un jeu idiot, et accessoirement un moyen de
transport. Contre toutes les formes régressives du jeu, qui
sont ses retours à des stades infantiles — toujours
liés aux politiques de réaction — il faut soutenir les
formes expérimentales d’un jeu révolutionnaire.






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COLOR="#FFFFFF">Définitions





situation construite



Moment de la vie, concrètement et
délibérément construit par l’organisation
collective d’une ambiance unitaire et d’un jeu
d’événements.



situationniste



Ce qui se rapporte à la théorie ou
à l’activité pratique d’une construction des
situations. Celui qui s’emploie à construire des situations.
Membre de l’Internationale situationniste.



situationnisme



Vocable privé de sens, abusivement forgé
par dérivation du terme précédent. Il n’y a pas
de situationnisme, ce qui signifierait une doctrine
d’interprétation des faits existants. La notion de
situationnisme est évidemment conçue par les
anti-situationnistes.



psychogéographie



Étude des effets précis du milieu
géographique, consciemment aménagé ou non,
agissant directement sur le comportement affectif des individus.




psychogéographique



Relatif à la psychogéographie. Ce qui
manifeste l’action directe du milieu géographique sur
l’affectivité.



psychogéographe



Qui recherche et transmet les réalités
psychogéographiques.



dérive



Mode de comportement expérimental lié
aux conditions de la société urbaine : technique
du passage hâtif à travers des ambiances variées.
Se dit aussi, plus particulièrement, pour désigner la
durée d’un exercice continu de cette expérience.




urbanisme unitaire



Théorie de l’emploi d’ensemble des arts et
techniques concourant à la construction intégrale d’un
milieu en liaison dynamique avec des expériences de
comportement.



détournement



S’emploie par abréviation de la formule :
détournement d’éléments esthétiques
préfabriqués. Intégration de productions
actuelles ou passées des arts dans une construction
supérieure du milieu. Dans ce sens il ne peut y avoir de
peinture ou de musique situationniste, mais un usage situationniste
de ces moyens. Dans un sens plus primitif, le détournement
à l’intérieur des sphères culturelles anciennes
est une méthode de propagande, qui témoigne de l’usure
et de la perte d’importance de ces sphères.



culture



Reflet et préfiguration, dans chaque moment
historique, des possibilités d’organisation de la vie
quotidienne ; complexe de l’esthétique, des sentiments et
des mœurs, par lequel une collectivité réagit sur la
vie qui lui est objectivement donnée par son économie.
(Nous définissons seulement ce terme dans la perspective de la
création des valeurs, et non dans celle de leur enseignement.)



décomposition



Processus par lequel les formes culturelles
traditionnelles se sont détruites elles-mêmes, sous
l’effet de l’apparition de moyens supérieurs de domination de
la nature, permettant et exigeant des constructions culturelles
supérieures. On distingue entre une phase active de la
décomposition, démolition effective des vieilles
superstructures — qui cesse vers 1930 —, et une phase de
répétition, qui domine depuis. Le retard dans le
passage de la décomposition à des constructions
nouvelles est lié au retard dans la liquidation
révolutionnaire du capitalisme.






ù







COLOR="#FFFFFF">

COLOR="#FFFFFF">Formulaire pour un urbanisme nouveau





Sire, je suis
de l’autre pays.



NOUS NOUS ENNUYONS dans la ville, il n’y a
plus de temple du soleil. Entre les jambes des passantes les
dadaïstes auraient voulu trouver une clef à molette, et
les surréalistes une coupe de cristal, c’est perdu. Nous
savons lire sur les visages toutes les promesses, dernier état
de la morphologie. La poésie des affiches a duré vingt
ans. Nous nous ennuyons dans la ville, il faut se fatiguer salement
pour découvrir encore des mystères sur les pancartes de
la voie publique, dernier état de l’humour et de la
poésie :



Bain-Douches des Patriarches


Machines à trancher les viandes


Zoo Notre-Dame


Pharmacie des Sports


Alimentation des Martyrs


Béton translucide


Scierie Main-d’or


Centre de récupération fonctionnelle


Ambulance Sainte-Anne


Cinquième avenue café


Rue des Volontaires Prolongée


Pension de famille dans le jardin


Hôtel des Étrangers


Rue Sauvage



Et la piscine de la rue des Fillettes. Et le commissariat de
police de la rue du Rendez-vous. La clinique
médico-chirurgicale et le bureau de placement gratuit du quai
des Orfèvres. Les fleurs artificielles de la rue du Soleil.
L’hôtel des Caves du Château, le bar de l’Océan et
le café du Va et Vient. L’hôtel de l’Époque.



Et l’étrange statue du Docteur Philippe Pinel, bienfaiteur
des aliénés, dans les derniers soirs de
l’été. Explorer Paris.



Et toi oubliée, tes souvenirs ravagés par toutes les
consternations de la mappemonde, échouée au Caves
Rouges de Pali-Kao, sans musique et sans géographie, ne
partant plus pour l’hacienda où les racines pensent
à l’enfant et où le vin s’achève en fables de
calendrier
. Maintenant c’est joué. L’hacienda, tu ne la
verras pas. Elle n’existe pas.



Il faut construire l’hacienda.



*



Toutes les villes sont géologiques et l’on ne peut faire
trois pas sans rencontrer des fantômes, armés de tout le
prestige de leurs légendes. Nous évoluons dans un
paysage fermé dont les points de repère nous
tirent sans cesse vers le passé. Certains angles
mouvants, certaines perspectives fuyantes nous
permettent d’entrevoir d’originales conceptions de l’espace, mais
cette vision demeure fragmentaire. Il faut la chercher sur les lieux
magiques des contes du folklore et des écrits
surréalistes : châteaux, murs interminables, petits
bars oubliés, caverne du mammouth, glace des casinos.



Ces images périmées conservent un petit pouvoir de
catalyse, mais il est presque impossible de les employer dans un
urbanisme symbolique sans les rajeunir, en les chargeant d’un
sens nouveau. Notre mental hanté par de vieilles images-clefs
est resté très en arrière des machines
perfectionnées. Les diverses tentatives pour intégrer
la science moderne dans de nouveaux mythes demeurent insuffisantes.
Depuis, l’abstrait a envahi tous les arts, en particulier
l’architecture d’aujourd’hui. Le fait plastique à
l’état pur, sans anecdote mais inanimé, repose l’œil et
le refroidit. Ailleurs se retrouvent d’autres beautés
fragmentaires, et de plus en plus lointaine la terre des
synthèses promises. Chacun hésite entre le passé
vivant dans l’affectif et l’avenir mort dès à
présent.



Nous ne prolongerons pas les civilisations mécaniques et
l’architecture froide qui mènent à fin de course aux
loisirs ennuyés.



Nous nous proposons d’inventer de nouveaux décors mouvants.
(…)



L’obscurité recule devant l’éclairage et les saisons
devant les salles climatisées : la nuit et
l’été perdent leurs charmes, et l’aube disparaît.
L’homme des villes pense s’éloigner de la
réalité cosmique et ne rêve pas plus pour cela.
La raison en est évidente : le rêve a son point de
départ dans la réalité et se réalise en
elle.



Le dernier état de la technique permet le contact permanent
entre l’individu et la réalité cosmique, tout en
supprimant ses désagréments. Le plafond de verre laisse
voir les étoiles et la pluie. La maison mobile tourne avec le
soleil. Ses murs à coulisses permettent à la
végétation d’envahir la vie. Montée sur
glissières, elle peut s’avancer le matin jusqu’à la
mer, pour rentrer le soir dans la forêt.



L’architecture est le plus simple moyen d’articuler le
temps et l’espace, de moduler la réalité, de
faire rêver. Il ne s’agit pas seulement d’articulation et de
modulation plastiques, expression d’une beauté
passagère. Mais d’une modulation influentielle, qui s’inscrit
dans la courbe éternelle des désirs humains et des
progrès dans la réalisation de ces désirs.



L’architecture de demain sera donc un moyen de modifier les
conceptions actuelles du temps et de l’espace. Elle sera un moyen de
connaissance et un moyen d’agir.



Le complexe architectural sera modifiable. Son aspect changera en
partie ou totalement suivant la volonté de ses habitants. (…)



Les collectivités passées offraient aux masses une
vérité absolue et des exemples mythiques indiscutables.
L’entrée de la notion de relativité dans
l’esprit moderne permet de soupçonner le côté
EXPÉRIMENTAL de la prochaine
civilisation, encore que le mot ne me satisfasse pas. Disons plus
souple, plus « amusé ». Sur les bases de
cette civilisation mobile, l’architecture sera — au moins à
ses débuts — un moyen d’expérimenter les mille
façons de modifier la vie, en vue d’une synthèse qui ne
peut être que légendaire.



Une maladie mentale a envahi la planète : la
banalisation. Chacun est hypnotisé par la production et le
confort — tout-à-l’égoût, ascenseur, salle de
bains, machine à laver.



Cet état de fait qui a pris naissance dans une protestation
contre la misère dépasse son but lointain —
libération de l’homme des soucis matériels — pour
devenir une image obsédante dans l’immédiat. Entre
l’amour et le vide-ordure automatique la jeunesse de tous les pays a
fait son choix et préfère le vide-ordure. Un revirement
complet de l’esprit est devenu indispensable, par la mise en
lumière de désirs oubliés et la création
de désirs entièrement nouveaux. Et par une
propagande intensive en faveur de ces désirs.



Nous avons déjà signalé le besoin de
construire des situations comme un des désirs de base sur
lesquels serait fondée la prochaine civilisation. Ce besoin de
création absolue a toujours été
étroitement mêlé au besoin de jouer avec
l’architecture, le temps et l’espace. (…)



Un des plus remarquables précurseurs de l’architecture
restera Chirico. Il s’est attaqué aux problèmes des
absences et des présences à travers le temps et
l’espace.



On sait qu’un objet, non remarqué consciemment lors d’une
première visite, provoque par son absence au cours des
visites suivanes, une impression indéfinissable : par un
redressement dans le temps, l’absence de l’objet se fait
présence sensible
. Mieux : bien que restant
généralement indéfinie, la qualité de
l’impression varie pourtant suivant la nature de l’objet
enlevé et l’importance que le visiteur lui accorde, pouvant
aller de la joie sereine à l’épouvante (peu nous
importe que dans ce cas précis le véhicule de
l’état d’âme soit la mémoire. Je n’ai choisi cet
exemple que pour sa commodité).



Dans la peinture de Chirico (période des Arcades) un
espace vide crée un temps bien rempli. Il est
aisé de se représenter l’avenir que nous
réserverons à de pareils architectes, et quelles seront
leurs influences sur les foules. Nous ne pouvons aujourd’hui que
mépriser un siècle qui relègue de pareilles
maquettes dans de prétendus musées.



Cette vision nouvelle du temps et de l’espace qui sera la base
théorique des constructions à venir, n’est pas au point
et ne le sera jamais entièrement avant d’expérimenter
les comportements dans des villes réservées à
cet effet, où seraient réunis systématiquement,
outre les établissements indispensables à un minimum de
confort et de sécurité, des bâtiments
chargés d’un grand pouvoir évocateur et influentiel,
des édifices symboliques figurant les désirs, les
forces, les événements passés, présents
et à venir. Un élargissement rationnel des anciens
systèmes religieux, des vieux contes et surtout de la
psychanalyse au bénéfice de l’architecture se fait plus
urgent chaque jour, à mesure que disparaissent les raisons de
se passionner.



En quelque sorte chacun habitera sa
« cathédrale » personnelle. Il y aura des
pièces qui feront rêver mieux que des drogues, et des
maisons où l’on ne pourra qu’aimer. D’autres attireront
invinciblement les voyageurs…



On peut comparer ce projet aux jardins chinois et japonais en
trompe-l’œil — à la différence que ces jardins ne sont
pas faits pour y vivre entièrement — ou au labyrinthe ridicule
du Jardin des Plantes à l’entrée duquel on peut lire,
comble de la bêtise, Ariane en chômage : Les jeux
sont interdits dans le labyrinthe
.



Cette ville pourrait être envisagée sous la forme
d’une réunion arbitraire de châteaux, grottes, lacs,
etc… Ce serait le stade baroque de l’urbanisme
considéré comme un moyen de connaissance. Mais
déjà cette phase théorique est
dépassée. Nous savons que l’on peut construire un
immeuble moderne dans lequel on ne reconnaîtrait en rien un
château médiéval, mais qui garderait et
multiplierait le pouvoir poétique du Château (par
la conservation d’un strict minimum de lignes, la transposition de
certaines autres, l’emplacement des ouvertures, la situation
topographique, etc.).



Les quartiers de cette ville pourraient correspondre aux divers
sentiments catalogués que l’on rencontre par hasard
dans la vie courante.



Quartier Bizarre — Quartier Heureux, plus particulièrement
réservé à l’habitation — Quartier Noble et
Tragique (pour les enfants sages) — Quartier Historique
(musées, écoles) — Quartier Utile (hôpital,
magasins d’outillage) — Quartier Sinistre, etc… Et un
Astrolaire qui grouperait les espèces
végétales selon les relations qu’elles attestent avec
le rythme stellaire, jardin planétaire comparable à
celui que l’astronome Thomas se propose de faire établir
à Vienne au lieu dit Laaer Berg. Indispensable pour donner aux
habitants une conscience du cosmique. Peut-être aussi un
Quartier de la Mort, non pour y mourir mais pour y vivre en
paix
, et ici je pense au Mexique et à un principe de
cruauté dans l’innocence qui me devient chaque jour plus cher.



Le Quartier Sinistre, par exemple, remplacerait avantageusement
ces trous, bouches des enfers, que bien des peuples
possédaient jadis dans leur capitale : ils symbolisaient
les puissances maléfiques de la vie. Le Quartier Sinistre
n’aurait nul besoin de recéler des dangers réels, tels
que pièges, oubliettes, ou mines. Il serait d’approche
compliquée, affreusement décoré (sifflets
stridents, cloches d’alarmes, sirènes périodiques
à cadence irrégulière, sculptures monstrueuses,
mobiles mécaniques à moteurs, dits Auto-Mobiles)
et peu éclairé la nuit, autant que violemment
éclairé le jour par un emploi abusif du
phénomène de réverbération. Au centre, la
« Place du Mobile Épouvantable ». La
saturation du marché par un produit provoque la baisse de ce
produit : l’enfant et l’adulte apprendraient par l’exploration
du quartier sinistre à ne plus craindre les manifestations
angoissantes de la vie, mais à s’en amuser.



L’activité principale des habitants sera la
SIZE="-1">DÉRIVE CONTINUE
. Le changement de paysage
d’heure en heure sera responsable du dépaysement complet. (…)



Plus tard, lors de l’inévitable usure des gestes, cette
dérive quittera en partie le domaine du vécu pour celui
de la représentation. (…)



L’objection économique ne résiste pas au premier
coup d’œil. On sait que plus un lieu est réservé
à la liberté de jeu
, plus il influe sur le
comportement et plus sa force d’attraction est grande. Le prestige
immense de Monaco, de Las Vegas, en est la preuve. Et Reno,
caricature de l’union libre. Pourtant il ne s’agit que de simples
jeux d’argent. Cette première ville expérimentale
vivrait largement sur un tourisme toléré et
contrôlé. Les prochaines activités et productions
d’avant-garde s’y concentreraient d’elles-mêmes. En quelques
années elle deviendrait la capitale intellectuelle du monde,
et serait partout reconnue comme telle.



GILLES I
SIZE="-1">VAIN



L’Internationale lettriste avait adopté en
octobre 1953 ce rapport de Gilles Ivain sur l’urbanisme, qui
constitua un élément décisif de la nouvelle
orientation prise alors par l’avant-garde expérimentale. Le
présent texte a été établi à
partir de deux états successifs du manuscrit, comportant de
légères différences de formulation,
conservés dans les archives de l’I.L., puis devenus les
pièces numéro 103 et numéro 108 des
Archives Situationnistes.






ù







COLOR="#FFFFFF">

COLOR="#FFFFFF">Thèses sur la révolution
culturelle





1



LE BUT TRADITIONNEL de l’esthétique
est de faire sentir, dans la privation et l’absence, certains
éléments passés de la vie qui, par une
médiation artistique, échapperaient à la
confusion des apparences, l’apparence étant alors ce qui subit
le règne du temps. Le degré de la réussite
esthétique se mesure donc à une beauté
inséparable de la durée, et tendant même à
une prétention d’éternité. Le but des
situationnistes est la participation immédiate à une
abondance passionnelle de la vie, à travers le changement de
moments périssables délibérément
aménagés. La réussite de ces moments ne peut
être que leur effet passager. Les situationnistes envisagent
l’activité culturelle, du point de vue de la totalité,
comme méthode de construction expérimentale de la vie
quotidienne, développable en permanence avec l’extension des
loisirs et la disparition de la division du travail (à
commencer par la division du travail artistique).





2



L’art peut cesser d’être un rapport sur les sensations pour
devenir une organisation directe de sensations supérieures. Il
s’agit de produire nous-mêmes, et non des choses qui nous
asservissent.





3



Mascolo a raison de dire (Le Communisme) que la
réduction de la journée de travail par le régime
de la dictature du prolétariat est « la plus
certaine assurance qu’il puisse donner de son authenticité
révolutionnaire ». En effet, « si l’homme
est une marchandise, s’il est traité comme une chose, si les
rapports généraux des hommes entre eux sont des
rapports de chose à chose, c’est qu’il est possible de lui
acheter son temps ». Mascolo cependant conclue trop vite
que « le temps d’un homme librement
employé » est toujours bien employé, et que
« l’achat du temps est le seul mal ». Il n’y a
pas de liberté dans l’emploi du temps sans la possession des
instruments modernes de construction de la vie quotidienne. L’usage
de tels instruments marquera le saut d’un art révolutionnaire
utopique à un art révolutionnaire expérimental.





4



Une association internationale de situationnistes peut être
considérée comme une union des travailleurs d’un
secteur avancé de la culture, ou plus exactement comme une
union de tous ceux qui revendiquent le droit à un travail que
les conditions sociales entravent maintenant ; donc comme une
tentative d’organisation de révolutionnaires professionnels
dans la culture.





5



Nous sommes séparés pratiquement de la domination
réelle des pouvoirs matériels accumulés par
notre temps. La révolution communiste n’est pas faite et nous
sommes encore dans le cadre de la décomposition des vieilles
superstructures culturelles. Henri Lefebvre voit justement que cette
contradiction est au centre d’un désaccord
spécifiquement moderne entre l’individu progressiste et le
monde, et appelle romantique-révolutionnaire la tendance
culturelle qui se fonde sur ce désaccord. L’insuffisance de la
conception de Lefebvre est de faire de la simple expression du
désaccord le critère suffisant d’une action
révolutionnaire dans la culture. Lefebvre renonce par avance
à toute expérience de modification culturelle profonde
en se satisfaisant d’un contenu : la conscience du
possible-impossible (encore trop lointain), qui peut être
exprimée sous n’importe quelle forme prise dans le cadre de la
décomposition.





6



Ceux qui veulent dépasser, dans tous ses aspects, l’ancien
ordre établi ne peuvent s’attacher au désordre du
présent, même dans la sphère de la culture. Il
faut lutter sans plus attendre, aussi dans la culture, pour
l’apparition concrète de l’ordre mouvant de l’avenir. C’est sa
possibilité, déjà présente parmi nous,
qui dévalorise toutes les expressions dans les formes
culturelles connues. Il faut mener à leur destruction
extrême toutes les formes de pseudo-communication, pour
parvenir un jour à une communication réelle directe
(dans notre hypothèse d’emploi de moyens culturels
supérieurs : la situation construite). La victoire sera
pour ceux qui auront su faire le désordre sans l’aimer.





7



Dans le monde de la décomposition nous pouvons faire
l’essai mais non l’emploi de nos forces. La tâche pratique de
surmonter notre désaccord avec le monde, c’est-à-dire
de surmonter la décomposition par quelques constructions
supérieures, n’est pas romantique. Nous serons des
« romantiques-révolutionnaires », au sens
de Lefebvre, exactement dans la mesure de notre échec.





G.-E
SIZE="-1">.
DEBORD







ù







COLOR="#FFFFFF">

COLOR="#FFFFFF">Les situationnistes et l’automation







« Je rassemble
aussi quelques citations pour un article sur les
perspectives de l’automation, article que nous devrions, je
crois, écrire ensemble. » — G

SIZE="-2" FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Asger
Jorn
,
1

FACE="Arial">er

FACE="Arial"> septembre 1957.

IL EST assez étonnant que
presque personne, jusqu’à présent, n’ose
développer la pensée de l’automation jusqu’à ses
dernières conséquences. Par le fait, il n’y a pas de
véritables perspectives. On a plutôt l’impression que
les ingénieurs, les savants, les sociologues essaient de faire
passer l’automation en fraude dans la société.



Pourtant l’automation est maintenant au centre du problème
de la domination socialiste de la production et de la
prééminence des loisirs sur le temps de travail. La
question de l’automation est la plus chargée de
possibilités positives et négatives.



Le but du socialisme est l’abondance : le plus grand nombre
de biens au plus grand nombre de gens, ce qui implique
statistiquement la réduction jusqu’à l’improbable des
apparitions de l’imprévu. La croissance du nombre des biens
réduit la valeur de chacun. Cette dévalorisation de
tous les biens humains à un stade de neutralité pour
ainsi dire parfaite sera le résultat inévitable d’un
développement purement scientifique du socialisme. Il est
regrettable que bien des intellectuels ne dépassent pas cette
idée de la reproduction mécanique, et préparent
l’adaptation de l’homme à ce futur incolore et
symétrisé. De sorte que les artistes,
spécialisés dans la recherche de l’unique, se tournent
avec hostilité, en nombre croissant, contre le socialisme.
À l’inverse les politiques du socialisme entretiennent la
méfiance contre toutes les manifestations de puissance ou
d’originalité artistiques.



Attachés à leurs positions conformistes, les uns et
les autres font preuve d’une certaine mauvaise humeur envers
l’automation, qui risque de remettre en cause profondément
leurs conceptions économiques et culturelles. Il y a, dans
toutes les tendances « d’avant-garde » un
défaitisme à propos de l’automation ou, au mieux, une
sous-estimation des éléments positifs de l’avenir dont
les débuts de l’automation révèlent brusquement
la proximité. En même temps les forces
réactionnaires font étalage d’un optimisme idiot.



Une anecdote est significative. L’an dernier dans la revue
Quatrième Internationale le militant marxiste Livio
Maitan rapportait qu’un prêtre italien avait déjà
avancé l’idée d’une seconde messe hebdomadaire,
nécessitée par l’accroissement du temps libre. Maitan
répondait : « L’erreur consiste en ce que l’on
estime que l’homme de la société nouvelle sera le
même que dans la présente société, alors
qu’en réalité il aura des besoins et des exigences
complètement divers qu’il nous est difficile même de
concevoir ». Mais l’erreur de Maitan est de laisser au
vague futur les nouvelles exigences qu’il lui est
« difficile même de concevoir ». Le
rôle dialectique de l’esprit est d’incliner le possible vers
des formes souhaitables. Maitan oublie que toujours « les
éléments d’une société nouvelle se sont
formés dans la société
ancienne
», comme dit le Manifeste communiste.
Des éléments d’une vie nouvelle doivent
déjà être en formation parmi nous — dans le champ
de la culture —, et c’est à nous de nous en servir pour
passionner le débat.



Le socialisme, qui tend à la plus complète
libération des énergies et des capacités qui
sont dans chaque individu, sera obligé de voir dans
l’automation une tendance anti-progressiste en soi, rendue
progressiste uniquement par sa relation avec de nouvelles
provocations capables d’extérioriser les énergies
latentes de l’homme. Si, comme le prétendent les savants et
les techniciens, l’automation est un nouveau moyen de
libération de l’homme, elle doit impliquer un
dépassement des précédentes activités
humaines. Ceci oblige l’imagination active de l’homme à
dépasser la réalisation de l’automation même.
Où trouvons-nous de telles perspectives, qui rendraient
l’homme maître et non esclave de l’automation ?



Louis Salleron explique dans son étude sur
L’Automation que celle-ci « comme presque toujours
en matière de progrès… ajoute plus qu’elle ne
remplace ou qu’elle ne supprime ». Qu’est-ce
que l’automation, en elle-même, ajoute à la
possibilité d’action de l’homme ? Nous avons appris
qu’elle supprime celui-ci complètement dans son propre
domaine.



La crise de l’industrialisation est une crise de consommation et
de production. La crise de production est plus importante que la
crise de consommation, celle-ci étant conditionnée par
la première. Transposé sur le plan individuel, ceci
équivaut à la thèse qu’il est plus satisfaisant
de donner que de recevoir, d’être capable d’ajouter que
de supprimer. L’automation possède ainsi deux
perspectives opposées : elle enlève à
l’individu toute possibilité d’ajouter quoi que ce soit de
personnel à la production automatisée qui est une
fixation du progrès, et en même temps elle
économise des énergies humaines massivement
libérées des activités reproductives et
non-créatives. La valeur de l’automation dépend donc
des projets qui la dépassent, et qui dégagent de
nouvelles énergies humaines sur un plan supérieur.



L’activité expérimentale dans la culture,
aujourd’hui, a ce champ incomparable. Et l’attitude défaitiste
ici, la démission devant les possibilités de
l’époque, est symptomatique des anciennes avant-gardes qui
veulent rester, comme l’écrit Edgar Morin,
« à ronger un os du passé ». Un
surréaliste nommé Benayoun dit dans le
numéro 2 du Surréalisme même,
dernière expression de ce mouvement : « Le
problème des loisirs tourmente déjà les
sociologues… On ne réclamera plus des techniciens, mais des
clowns, des chanteurs de charme, des ballerines, des hommes
caoutchouc. Une journée de travail pour six de repos :
l’équilibre entre le sérieux et le futile, l’oisif et
le laborieux risque fort d’être renversé… le
“travailleur”, dans son désœuvrement sera
crétinisé par une télévision
convulsionnaire, envahissante, à court d’idées, en
quête de talents ». Ce surréaliste ne voit pas
qu’une semaine de six jours de repos n’entraînera pas un
« renversement de l’équilibre » entre le
futile et le sérieux mais un changement de nature du
sérieux aussi bien que du futile. Il n’espère que des
quiproquos, des retournements ridicules du monde donné qu’il
conçoit, à l’image du surréalisme vieilli, comme
une sorte de vaudeville intangible. Pourquoi cet avenir serait-il
l’hypertrophie des bassesses du présent ? Et pourquoi
serait-il « à court
d’idées » ? Est-ce que cela veut dire qu’il
sera à court d’idées surréalistes de 1924
améliorées en 1936 ? C’est probable. Ou est-ce que
cela veut dire que les imitateurs du surréalisme sont à
court d’idées ? Nous le savons bien.



Les loisirs nouveaux paraissent un abîme que la
société actuelle ne pense à combler qu’en
multipliant des pseudo-jeux de bricolage dérisoire. Mais ils
sont en même temps la base sur laquelle peut s’édifier
la plus grandiose construction culturelle qui ait jamais
été imaginée. Ce but est évidemment en
dehors du cercle d’intérêt des partisans de
l’automation. Nous savons même qu’il est antagoniste à
la tendance directe de l’automation. Si nous voulons discuter avec
les ingénieurs, nous devrons passer dans leur propre champ
d’intérêt. Maldonado, qui dirige actuellement à
Ulm la « Hochschule für Gestaltung »,
explique que le développement de l’automation est compromis
parce qu’on ne trouve guère d’enthousiasme dans la jeunesse
pour se lancer dans la voie polytechnique, mis à part des
spécialistes des fins mêmes de l’automation,
dépourvus d’une perspective culturelle générale.
Mais Maldonado qui justement devrait montrer cette perspective
générale l’ignore complètement :
l’automation ne peut se développer rapidement qu’à
partir du moment où elle a établi comme but une
perspective contraire à son propre établissement, et si
on sait réaliser une telle perspective générale
au fur et à mesure du développement de
l’automation
.



Maldonado propose le contraire : d’abord établir
l’automation, et ensuite son usage. On pourrait discuter de ce
procédé si le but n’était pas
précisément l’automation, parce que l’automation n’est
pas une action dans un domaine, qui provoquerait une anti-action.
C’est la neutralisation d’un domaine, qui en viendrait à
neutraliser aussi les champs extérieurs si des actions
contradictoires n’étaient pas entreprises en même temps.



Pierre Drouin parlant dans Le Monde du
5 janvier 1957 de l’extension des hobbies, comme
réalisation des virtualités dont les travailleurs ne
peuvent plus trouver l’emploi dans leur activité
professionnelle, conclut qu’en chaque homme « il y a un
créateur qui sommeille ». Cette vieille
banalité est d’une vérité brûlante
aujourd’hui si on la rattache aux réelles possibilités
matérielles de notre époque. Le créateur qui
sommeille doit s’éveiller, et son état de veille peut
bien s’appeler situationniste.



L’idée de standardisation est un effort pour réduire
et simplifier le plus grand nombre des besoins humains à la
plus grande égalité. Il dépend de nous que la
standardisation ouvre ou non des domaines d’expérience plus
intéressants que ceux qu’elle ferme. Selon le résultat,
on peut aboutir à un abrutissement total de la vie de l’homme,
ou à la possibilité de découvrir en permanence
des nouveaux désirs. Mais ces nouveaux désirs ne se
manifesteront pas tout seuls, dans le cadre oppressif de notre monde.
Il faut une action commune pour les détecter, les manifester,
les réaliser.



ASGER J
SIZE="-1">ORN






ù







COLOR="#FFFFFF">

COLOR="#FFFFFF">Pas d’indulgences inutiles





UNE COLLABORATION d’allure, si l’on veut,
intellectuelle ou artistique, dans un groupe se livrant à des
recherches du genre des nôtres, engage plus ou moins notre
usage de la vie quotidienne. Elle est toujours mêlée
d’une certaine amitié.



Par conséquent lorsque nous pensons à ceux qui ont
participé à cet accord, puis en ont été
exclus, nous sommes obligés de penser qu’ils ont aussi
été nos amis. Quelquefois, c’est un plaisir. Pour
d’autres, c’est ridicule et gênant.



Dans l’ensemble, la suite a prouvé le bien fondé de
nos reproches et le caractère irrécupérable des
gens qui n’ont pu se maintenir parmi nous. Peu d’entre eux, mais
enfin il y en eut, ont rejoint l’Église ou les troupes
coloniales. Les autres se suffisent de l’intelligentsia. Ils y
vieillissent. Notre époque est telle qu’ils n’y font
pas même carrière : Françoise Giroud est
parfaite dans sa place, et aussi longtemps que ce genre se portera il
n’y a aucune raison de la remplacer par du demi-génie en
chômage. De sorte que l’un, qui travaillait sous de faux noms
dans la littérature pornographique-du-cœur, en est venu, pour
donner du goût à la chose, à faire de nouveaux
ouvrages du genre, et à rééditer certains des
anciens, sous sa véritable identité
d’« artiste d’avant-garde ». Si donc il
retrouvait, par hasard, un second souffle, c’est sous le manteau
qu’il devrait exprimer une idée sérieuse, pour faire
croire que c’est un autre. Ce n’est pas le même qui a fini par
se faire un nom en fournissant un mode de rébus aux potins de
la commère, c’est un proche disciple. Mais très
éloigné de telles ambitions, résigné
à être négligé par tous, cet honnête
théoricien belge qui fut autrefois, avec certains de nos amis
d’à présent dans l’« Internationale des
artistes expérimentaux » s’est, lui, si bien
retranché dans les goûts et les souvenirs de sa
jeunesse qu’il peut utiliser dans un débat
idéologique quelques arguments nationalistes— en faveur de la
Belgique bien sûr.



Un plus grand nombre encore d’individus n’a même jamais pu
parvenir à s’intégrer à nous, malgré
l’indulgence extrême que nous avons toujours eue pour ceux qui
n’avaient encore rien fait, rien dit, ou seulement quelques vagues
sottises. Nous en avons vu beaucoup, qui sentaient
confusément que quelque chose devait se passer là,
et qui tournaient autour, très attirés sans être
eux-mêmes très attirants. Ils étaient finalement
sur le modèle du fidèle jeune homme dans la garde
montante du surréalisme, un couteau sans manche auquel il
manque quelque chose.



La récente constitution de l’Internationale situationniste
a donné une nouvelle actualité aux questions d’accord
et de rupture. Une période de discussions, de pourparlers
à égalité entre divers groupes, commencée
au congrès d’Alba, s’est close à Cosio d’Arroscia au
profit d’une organisation disciplinée. Le résultat de
ces conditions objectives nouvelles a été d’obliger
à l’opposition ouverte certains éléments
opportunistes, qui ont été immédiatement
éliminés (épuration de la section italienne).
D’autre part, certaines attitudes d’attentisme ont cessé
d’être tolérables, et ceux de nos alliés qui
n’ont pas cru devoir nous rejoindre immédiatement se sont par
là démasqués comme adversaires. C’est sur le
programme développé depuis lors par la majorité
de l’I.S. que nous ont rejoint tous les éléments
nouveaux, et ce serait risquer de se couper de ces
éléments, et surtout de ceux que nous rencontrerons
dans l’avenir, que d’accepter de poursuivre le moindre dialogue avec
ceux qui ont manifesté, depuis Alba, leur
irrémédiable usure.



Nous sommes devenus plus forts, plus séduisants donc. Nous
ne voulons toujours pas de relations inoffensives, et nous ne voulons
pas de relations qui puissent servir nos adversaires. Mathieu, qui
pourtant ne peut pas ignorer ce que nous pensons de lui, essayait
en mars dernier de faire glisser une de ses œuvres dans une
construction d’ambiance situationniste projetée. Et
Tapié n’en vient-il pas à dire, par une méthode
qui fait aussitôt penser à la bande de singes pillant un
dépôt de machines à écrire :
« Comme le passionnel est autre, à son
échelle tout change dans les structures du comportement :
l’œuvre complète à l’échelle de maintenant est
celle où les structures autres, donc ensemblistes,
transcendent un contenu au moins passionnel »
(Évidences paroxystiques qui datent d’avril
dernier) ? Mais il est hautement improbable qu’il arrive tout
seul à trouver un sens à son enchaînement de
vocabulaire parodique, et hautement improbable que nous acceptions
jamais ses avances. Qu’il disparaisse tout de suite, nous verrons
bien si les prochains ne seront pas meilleurs.



Disons nettement que tous les situationnistes conserveront
l’héritage des inimitiés de leurs groupements
constitutifs, et qu’il n’y a pas de retour possible pour ceux que
nous avons une fois été contraints de mépriser.
Mais nous n’avons pas de la rupture une conception idéaliste,
abstraite, absolue. Il faut voir quand une rencontre dans une
tâche collective concrète devient impossible, mais aussi
chercher si cette rencontre, dans des circonstances changées,
ne redevient pas possible et souhaitable, entre des personnes qui
ont pu se garder une certaine estime.



Il y a des gens — deux ou trois peut-être — que nous avons
connus, qui ont travaillé avec nous, qui sont partis, ou qui
ont été priés de le faire pour des raisons
aujourd’hui dépassées. Et qui, depuis, se sont
gardés de toute résignation : du moins il nous
est permis de l’espérer. Pour les avoir connus, et pour avoir
su quelles étaient leurs possibilités, nous pensons
qu’elles sont égales ou supérieures maintenant, et que
leur place peut encore être avec nous. Il est vrai qu’un
travail commun tel que celui que nous avions entrepris, et que nous
poursuivons, ne peut aller sans être mêlé
d’amitié. Je l’ai dit pour commencer. Mais il est vrai
aussi qu’il ne peut être assimilé à
l’amitié, et qu’il ne devrait pas être sujet aux
mêmes faiblesses. Ni aux mêmes modes de continuité
ou de relâchement.



MICHÈLE
BERNSTEIN






ù







COLOR="#FFFFFF">Nouvelles de
l’Internationale







COLOR="#FFFFFF">

COLOR="#FFFFFF">Éditions pour l’agitation
situationniste



LE 1
SIZE="-2">er
JANVIER
1958 a été publié
à Munich un premier manifeste de la section allemande de
l’I.S., sous le titre
COLOR="#00FFFF">« Nervenruh ! Keine
Experimente ! »
Dénonçant assez
violemment la misère des pseudo-nouveautés culturelles,
ce tract ne manque pas d’en désigner l’issue :
« Damen und Herren: lassen Sie sich nicht provozieren:
Das ist das letzte Gefecht! … Wann kommt der neue Einheitsstuhl? Ein
Gespenst geistert durch die Welt: die situationistische
Internationale.
»



Peu après la section française éditait le
tract Nouveau théâtre
d’opérations dans la culture
et l’appel
COLOR="#00FFFF">Aux producteurs de l’art moderne

(« Si vous êtes fatigués d’imiter des
démolitions ; s’il vous apparaît que les redites
fragmentaires que l’on attend de vous sont dépassées
avant d’être, prenez contact avec nous pour organiser à
un niveau supérieur de nouveaux pouvoirs de transformation du
milieu ambiant. »).



Potlatch, bulletin
d’information de l’Internationale lettriste jusqu’à son
numéro 28, est passé sous le contrôle de
notre organisation unie dont la section française en
poursuivra la parution occasionnelle. En juin vient d’être
édité par l’I.S., à Paris, le livre d’Asger Jorn
intitulé Pour la Forme,
recueil de plusieurs écrits publiés en
différentes langues entre 1953 et 1957, présentant
l’essentiel des apports théoriques du Mouvement International
pour un Bauhaus Imaginiste, qui s’est également
intégré dans la nouvelle Internationale.



En Belgique nos camarades ont publié, dans un livre
consacré à l’histoire de la galerie d’avant-garde
« Taptoe » — qui fut achevée avec la
manifestation psychogéographique de février 1957
—, une interview de Jorn sur le sens des changements de l’art
expérimental avant et depuis le mouvement
« Cobra » (1949-1951), et une
deuxième édition du Rapport
sur la construction des situations
. Une traduction de ce
rapport, effectuée par notre section italienne, a paru en mai,
à Turin (Éditions Notizie).



La section belge de l’I.S. s’est en outre préoccupée
d’étendre sa propagande à la Hollande, avec
l’étude de Walter Korun sur les origines de l’Internationale
situationniste et son programme actuel, écrite en
néerlandais pour le n° 11 de la revue
Gard-Sivik.



*




COLOR="#FFFFFF">

COLOR="#FFFFFF">Deuxième Conférence de
l’I.S.



LA DEUXIÈME
CONFÉRENCE de l’Internationale
situationniste réunie à Paris les 25 et
26 janvier, six mois après la conférence
d’unification de Cosio d’Arroscia (juillet 1957), a
particulièrement traité du développement de
notre action dans l’Europe du nord et en Allemagne, de
l’activité éditoriale, de l’organisation d’une
dérive expérimentale effectuée
simultanément par plusieurs groupes en liaison radiophonique,
des premières possibilités d’application de certaines
constructions d’ambiances. La conférence a
procédé à l’épuration de la section
italienne dans laquelle une fraction avait soutenu des thèses
idéalistes et réactionnaires, puis s’était
abstenue de toute autocritique après qu’elles eussent
été réfutées et condamnées par la
majorité. La conférence a ainsi décidé
l’exclusion de W. Olmo, P. Simondo, E. Verrone.



*




COLOR="#FFFFFF">Venise a vaincu Ralph Rumney



LE SITUATIONNISTE BRITANNIQUE Ralph Rumney
qui avait mené dès le printemps de 1957 quelques
reconnaissances psychogéographiques dans Venise,
s’était ultérieurement fixé pour but
l’exploration systématique de cette agglomération, et
espérait pouvoir en présenter un compte rendu exhaustif
autour de juin 1958 (cf. une annonce du
n° 29 de Potlatch).
L’entreprise se développa d’abord favorablement. Rumney, qui
était parvenu à établir les premiers
éléments d’un plan de Venise dont la technique de
notation surpassait nettement toute la cartographie
psychogéographique antérieure, faisait part à
ses camarades de ses découvertes, de ses premières
conclusions, de ses espoirs. Vers le mois de janvier 1958, les
nouvelles devinrent mauvaises. Rumney, aux prises avec des
difficultés sans nombre, de plus en plus attaché par le
milieu qu’il avait essayé de traverser, devait abandonner
l’une après l’autre ses lignes de recherches et, pour finir,
comme il nous le communiquait par son émouvant message du
20 mars, se voyait ramené à une position purement
statique.



Les anciens explorateurs ont connu un pourcentage
élevé de pertes au prix duquel on est parvenu à
la connaissance d’une géographie objective. Il fallait
s’attendre à voir des victimes parmi les nouveaux chercheurs,
explorateurs de l’espace social et de ses modes d’emploi. Les
embûches sont d’un autre genre, comme l’enjeu est d’une autre
nature : il s’agit de parvenir à un usage passionnant de
la vie. On se heurte naturellement à toutes les
défenses d’un monde de l’ennui. Rumney vient donc de
disparaître, et son père n’est pas encore parti à
sa recherche. Voilà que la jungle vénitienne a
été la plus forte, et qu’elle se referme sur un jeune
homme, plein de vie et de promesses, qui se perd, qui se dissout
parmi nos multiples souvenirs.







« Nous
préparons l’impression de la revue. Il faudrait
envoyer vite au moins quelques pages déjà
écrites de

COLOR="#00FFFF">Psychogeographical Venice

SIZE="-1" FACE="Arial">, pour que tu figures dans ce premier
numéro. » — G

FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Ralph
Rumney
,
27 décembre 1957.



« Nous nous avisons
soudain que nous n’avons pas de nouvelles de toi depuis
assez longtemps ; que tu n’as encore fait aucun réel
travail avec nous ; et que, cependant, tu n’hésites
pas à faire mention de ta collaboration avec
l’Internationale situationniste à propos de ton
exposition “apaisée” de Milan.


Nous te trouvons bien sympathique, c’est entendu, mais tu
peux penser qu’il n’est pas dans nos habitudes de prolonger
longtemps la négligence en certaines affaires,
auxquelles tu as choisi, comme nous, d’être
mêlé.


Nous allons donc dissiper promptement l’équivoque
:


Dans le cas où tu voudrais participer encore à
ce que nous faisons, il te suffira de nous envoyer avant la
fin du mois de mars


1° — Le texte destiné à notre revue, qui
est sous presse.


2° — Une relation satisfaisante sur tes
activités dans ces derniers mois.


Après le 31 mars, c’est inutile : la revue indiquera
précisément les participants à notre
action. » — A
SGER
J
FACE="Arial">ORN &

FACE="Arial">G
UY
D
FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Ralph
Rumney
, 13 mars
1958.



« Nous avons
envoyé un petit ultimatum à Rumney, le sommant
de donner des nouvelles satisfaisantes de son
activité, et de nous faire parvenir le texte promis
pour la revue, avant le 31 mars, faute de quoi nous ne le
considérerions plus comme étant des
nôtres. » — G

FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Pinot
Gallizio
, 14 mars
1958.



« Ralph Rumney a
répondu gentiment que ses travaux ménagers, et
ses ennuis avec Pegeen [Guggenheim], l’empêchaient de
collaborer effectivement avec nous mais qu’il
espérait que, peut-être, plus tard, cela irait
mieux. Par conséquent Rumney n’a plus rien de commun
avec les situationnistes, et nous le notifierons
officiellement dans notre revue. » — G

SIZE="-2" FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Pinot
Gallizio
, 4 avril
1958.



« Ce que vous me dites
de Ralph confirme aussi ce que nous en pensions : le pauvre
garçon est fini. » — G

FACE="Arial">UY

FACE="Arial">D

FACE="Arial">EBORD
,
lettre à Pinot
Gallizio et Giors Melanotte

FACE="Arial">, 16 juin 1958.



« L’ex-situationniste
anglais Ralph Rumney se refusant à comprendre le
caractère définitif de son exclusion,
annoncée dans notre précédent
numéro, nous sommes obligés de rappeler qu’il
nous paraît devenu complètement
inintéressant, tant par ses idées que par sa
vie. Ce qu’il pourrait publier, sur la
psychogéographie ou sur tout autre sujet, dans la
revue

FACE="Arial">Ark
ou
ailleurs, et quelque usage qu’il veuille faire du nom de
certains de nous, ne saurait aucunement concerner l’I.S.
» —

FACE="Arial">Renseignements situationnistes

SIZE="-1" FACE="Arial"> (

FACE="Arial">Internationale situationniste

SIZE="-1" FACE="Arial"> n° 2, décembre
1958).

*




FACE="Times New Roman" COLOR="#FFFFFF">Action en Belgique contre
l’Assemblée des critiques d’art internationaux



LE 12 AVRIL, deux
jours avant la réunion à Bruxelles d’une
assemblée générale des critiques d’art
internationaux, les situationnistes diffusaient largement une adresse
à cette assemblée, signée — au nom des sections
algérienne, allemande, belge, française, italienne et
scandinave de l’I.S. — par Khatib, Platschek, Korun, Debord,
Pinot-Gallizio et Jorn :



« Ce qui se fait ici vous paraît
à tous simplement ennuyeux. L’Internationale situationniste
considère pourtant que cet attroupement de tant de critiques
d’art comme attraction de la Foire de Bruxelles est ridicule, mais
significatif.



Dans la mesure où la pensée moderne, pour la
culture, se découvre avoir été parfaitement
stagnante depuis vingt-cinq ans ; dans la mesure où toute
une époque, qui n’a rien compris et n’a rien changé,
prend conscience de son échec, ses responsables tendent
à transformer leurs activités en institutions. Ils en
appellent ainsi à une reconnaissance officielle de la part
d’un ensemble social à tous égards périmé
mais encore matériellement dominant, dont ils ont
été dans la plupart des cas les bons chiens de garde.



La carence principale de la critique dans l’art moderne est de
n’avoir jamais su concevoir la totalité culturelle, et les
conditions d’un mouvement expérimental qui la dépasse
perpétuellement. En ce moment, la domination accrue de la
nature permet et nécessite l’emploi de pouvoirs
supérieurs de construction de la vie. Ce sont là les
problèmes d’aujourd’hui ; et ces intellectuels qui
retardent, par peur de la subversion générale d’une
certaine forme d’existence et des idées qu’elle a produites,
ne peuvent plus que s’affronter irrationnellement, en champions de
tel ou tel détail du vieux monde — d’un monde achevé,
et dont ils n’ont même pas connu le sens. Les critiques d’art
s’assemblent donc pour échanger les miettes de leur ignorance
et de leurs doutes. Quelques personnes, dont nous savons qu’elles
font actuellement un effort pour comprendre et soutenir les
recherches nouvelles, ont accepté en venant ici de se
confondre dans une immense majorité de médiocres, et
nous les prévenons qu’elles ne peuvent espérer garder
un minimum d’intérêt pour nous qu’en rompant avec ce
milieu.



Disparaissez, critiques d’art, imbéciles partiels,
incohérents et divisés ! C’est en vain que vous
montrez le spectacle d’une fausse rencontre. Vous n’avez rien en
commun qu’un rôle à tenir ; vous avez à
faire l’étalage, dans ce marché, d’un des aspects du
commerce occidental : votre bavardage confus et vide sur une
culture décomposée. Vous êtes
dépréciés par l’Histoire. Même vos audaces
appartiennent à un passé dont plus rien ne sortira.



Dispersez-vous, morceaux de critiques d’art, critiques de
fragments d’arts. C’est maintenant dans l’Internationale
situationniste que s’organise l’activité artistique unitaire
de l’avenir. Vous n’avez plus rien à dire.



L’Internationale situationniste ne vous laissera aucune place.
Nous vous réduirons à la famine. »




Il appartenait à notre section belge de mener sur place
l’opposition nécessaire. Dès le 13 avril, veille
de l’ouverture des travaux, alors que les critiques d’art des deux
mondes, présidés par l’américain Sweeney,
étaient accueillis à Bruxelles, le texte de la
proclamation situationniste était porté à leur
connaissance par plusieurs voies. On fit tenir des exemplaires
à un grand nombre de critiques, par la poste ou par
distribution directe. On téléphona tout ou partie du
texte à d’autres, appelés nommément. Un groupe
força l’entrée de la Maison de la Presse, où les
critiques étaient reçus, pour lancer des tracts sur
l’assistance. On en jeta davantage sur la voie publique, des
étages ou d’une voiture. On vit ainsi, après l’incident
de la Maison de la Presse, des critiques d’art qui venaient ramasser
les tracts jusque dans la rue, pour les soustraire à la
curiosité des passants. Enfin toutes les dispositions furent
prises pour ne laisser aux critiques aucun risque d’ignorer ce texte.
Les critiques d’art en question ne répugnèrent pas
à faire appel à la police, et usèrent des moyens
que leur ménageaient les intérêts
impliqués dans l’Exposition Universelle pour entraver la
reproduction dans la presse d’un écrit nuisible au prestige de
leur foire et de leur pensée. Notre camarade Korun se trouve
sous le coup de poursuites judiciaires pour son rôle dans cette
manifestation.







On lira
aussi :




COLOR="#FFFF00">¶

FACE="Arial"> I

FACE="Arial">NTERNATIONALE SITUATIONNISTE

SIZE="-1" FACE="Arial">,

FACE="Arial"
COLOR="#FFFFFF">
TARGET="_blank">Adresse de l’Internationale situationniste
à l’Assemblée générale de
l’Association internationale des critiques
d’art

[12 avril 1958]



ù



JEUNES GENS, JEUNES
FILLES



Quelque aptitude au dépassement et au jeu.


Sans connaissances spéciales.


Si intelligents ou beaux,


Vous pouvez aller dans le sens de l’Histoire,


AVEC LES SITUATIONNISTES


Ne pas téléphoner. Écrire ou se
présenter
:


32, rue de la Montagne-Geneviève, Paris V
SIZE="-2">e
.



ù







COLOR="#FFFFFF">

COLOR="#FFFFFF">Une guerre civile en France





« Ce n’est pas
Catilina qui est à nos portes, c’est la mort. »



P.-J
SIZE="-1">.
PROUDHON, à
Herzen
. 1849.



DANS LES JOURS où cette revue
s’imprimait de graves événements survenaient en France
(13 mai - 2 juin). Leurs développements
ultérieurs peuvent peser lourdement sur les conditions d’une
culture d’avant-garde comme sur beaucoup d’autres aspects de la vie
en Europe.



S’il est vrai que l’Histoire a tendance a recommencer en
farce ce qui a été tragédie, c’est la guerre
d’Espagne qui vient de se répéter dans la
comédie de la fin de la IV
SIZE="-2">e
République. Le fond politique de
la IVe République
avait été son irréalité, et sa mise
à mort sans effusion de sang fut elle-même
irréelle. La IV
SIZE="-2">e
République était
inséparable d’une guerre perpétuelle aux colonies.
L’intérêt du peuple français était
d’arrêter la guerre, l’intérêt des secteurs
colonialistes était de la gagner. Le Parlement
paraissait incapable de l’un comme de l’autre, mais c’est du
coté des colonialistes et de l’armée
laissée à leur service qu’il avait multiplié
les concessions et les démissions depuis des années,
et c’est à leur pouvoir qu’il était prêt
à céder la place.



Quand l’armée d’Algérie se révolta, comme
chacun s’y attendait, le gouvernement républicain eût pu
la remettre dans la discipline à peu de frais, et la
résistance était encore nécessaire et facile
au dernier jour. Mais au début il lui fallait s’appuyer sur
le peuple à travers sa majorité
parlementaire de gauche. À la fin, après la
conquête de la Corse et les menaces des troupes
aéroportées contre Paris, il eût fallu
s’appuyer sur la force effective du peuple
mobilisé (par cette organisation gouvernementale d’une
grève générale qui anihila le succès
initial du putsch de Kapp, par l’armement de milices). Ce processus
révolutionnaire, qui impliquait l’appel aux hommes du
contingent, aux équipages de la flotte, contre leurs
chefs rebelles, et surtout la reconnaissance de
l’indépendance de l’Algérie, parut bien plus dangereux
que le fascisme.



Le Parti communiste était dans cette crise le
meilleur défenseur du régime parlementaire, et
rien de plus
. Mais le régime était parvenu
à ce point de dissolution précisément par son
refus de tenir compte des voix communistes dans une majorité
de gauche. Il est resté jusqu’au bout victime de l’unique
procédé d’intimidation par lequel la droite minoritaire
avait constamment imposé sa politique : le mythe d’un
Parti communiste travaillant à s’emparer du pouvoir. Le Parti,
qui n’y travaillait aucunement, avait ainsi déçu et
désarmé les masses sans jamais réussir une
seule opération au Parlement ; et lui aussi, jusqu’au
bout, a cherché à faire accepter ses avances par les
mêmes responsables de la bourgeoisie. Ceux-ci restèrent
dans leur fermeté minérale de sorte que les communistes
ne purent enregistrer leur premier succès
parlementaire : le régime s’effondra avant. Le
28 mai il apparut qu’il était possible
d’entraîner le pays, non le Parlement, dans la lutte
anti-fasciste. Au soir du 29 mai la C.G.T. ne
lança pas la grève générale
illimitée qui en était l’arme principale, et les
manifestations du 1er juin
ne pouvaient être que de pure forme.



Les masses populaires étaient indifférentes parce
qu’on ne leur avait offert depuis longtemps que la fausse
alternative parlementaire entre la droite modérée et
la modération d’un Front Populaire d’ailleurs utopique puisque
les non-communistes le refusaient absolument. Les
éléments non-politisés étaient endormis
par la grande presse et la radio. Un gouvernement contrôlant et
utilisant au mieux ces moyens d’information eût disposé
d’un délai suffisant pour alerter le pays, mais le mode
d’information capitaliste suivit sa pente naturelle et su
dissimuler l’agonie du régime à une grande partie
de la population. Les éléments politisés,
depuis 1945, avaient pris l’habitude de la défaite et ils
étaient à juste raison sceptiques sur les chances
d’une telle « défense de la
République ». Cependant les centaines de milliers de
manifestants qui marchèrent ensemble à Paris le
28 mai montrèrent que le peuple méritait
mieux, et qu’il s’était levé au dernier moment.



Jusqu’à maintenant cette lamentable affaire ne comporte
aucun trait moderne. Le fascisme n’avait ni parti de masse en
France, ni programme. La seule force du colonialisme
borné et raciste, et d’une armée qui ne voyait pas
d’autre victoire à sa portée, a imposé au
pays, comme première étape, de Gaulle qui
représente l’idée scolaire de la grandeur nationale
française du XVII
SIZE="-2">e
siècle et qui assure la
transition vers un ordre moral poujado-militaire. Dans ce pays
fortement industrialisé il n’y a pas eu d’action
déterminante de la classe ouvrière. On est
tombé à un stade d’absence politique de la bourgeoisie
et du prolétariat où les pronunciamientos
décident du pouvoir.



Où en sommes-nous ? Les organisations ouvrières
ici sont intactes ; une partie du peuple est
alerté ; l’armée algérienne combat
toujours. Pour continuer à régner à Alger les
colons, qui commandaient déjà aux gouvernements de
Paris avant de les désigner officiellement, sont
obligés maintenant de régner sans opposition
en France. Leur but reste l’intensification de l’effort de
guerre de toute la France à leur profit, et ceci
nécessite à présent la liquidation de la
démocratie dans ce pays, le triomphe d’une autorité
fasciste. Les forces démocratiques en France, si elles
peuvent encore renverser le courant, seront obligées
d’aller jusqu’au bout de leur attitude : la liquidation du
pouvoir des colons sur l’Algérie et sur la France,
c’est-à-dire la République algérienne du
F.LN. Un choc violent est donc inévitable à
brève échéance. Les lâches illusions sur
le rôle personnel du général-président,
les obstacles apportés à l’unité d’action,
une nouvelle hésitation au moment d’engager la lutte
pourront affaiblir davantage et même livrer le peuple,
mais non retarder le dénouement.



Le 8 juin 1958.






ù



Date de création : 12/05/2006 @ 21:53
Dernière modification : 12/05/2006 @ 22:14
Catégorie : Revue de l'IS
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Réactions à cet article


Réaction n°5 

par astramann le 03/01/2012 @ 04:44

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